Pour cet article je cède la parole à Gérald Garutti, metteur en scène, dramaturge et écrivain. Il a fondé et dirige le Centre des Arts de la Parole et son manifeste "Il faut voir comme on se parle" expose bien mieux que moi le sens, le rôle et la place que la parole a ou pourrait avoir dans nos vies.
Qu'il en soit ici chaleureusement remercié pour m'avoir autorisé à partager un extrait de son manifeste.
"Sortir de l'infans. Pour une parole de dépassement.
Autant dire que la parole, ça s'apprend. Ça se travaille. Ça se sculpte. Ça se conçoit. Ça s'ouvrage. Ça se pense. Ça se façonne. Ça s'incarne. Ça se met en forme. Ça se transmet. Ça se donne. Cela vous pose un être - avoir une parole. Et s'y tenir. Nulle coïncidence vraiment si le même mot désigne la promesse et la foutaise - paroles, paroles, paroles". Tout dépend ce que l'on y met. Il nous faut apprécier en quoi la parole nous fonde. En quoi le verbe nous constitue. En quoi la pensée se fait dans et par la parole, comme le conclut Wirgenstein :"Ce dont on ne peut parler, il faut le taire"" En quoi l'énonciation détermine note pensée, comme le formule Boileau: "Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, /Et les mots pour le dire arrivent aisément". En quoi l'expression informe notre propos, comme l'expose Victor Hugo : la forme, c'est le fond qui remonte à la surface. Cette aventure de la parole qui sous-tend notre humanité, qui étaie notre être au monde, il nous revient de la cultiver. Elle se forme - jusqu'à atteindre la maitrise.
L'infans est, étymologiquement, celui qui ne parle pas - pas encore . Pour l'entendre autrement, "l'enfant", le petit être du premier âge de la vie, c'est celui qui ne sait pas ce que c'est que la parole. Celui qui ignore encore ce que parler veut dire. Qui n'a ni la conscience, ni la responsabilité, ni la maitrise de la parole.
Voilà où nous en sommes. Nous devons sortir de l'enfance où nous sommes retombés en mauvaise part - le règne des pulsions, l'incapacité à tolérer la frustration, l'impatience envers autrui, les actions inconséquentes, les accès de colère. Dépasser le stade adolescent de celui qui se pose en s'opposant - à grands coups d'éclats et d'éclairs de rage. Accéder à l'âge adulte, à la maitrise de nous-mêmes. La puérilité – celle des criailleries, des chamailleries, des fâcheries, des furies, des lynchages - voilà ce qu'il nous faut surmonter. Il n'y a pas que la vérité qui sorte de la bouche des enfants. Il peut aussi en jaillir le mensonge, la cruauté, la violence, la férocité, la fureur - sans filtre, sans limites, sans mesure, sans contrôle. II nous faut apprendre à nous canaliser pour pouvoir vivre ensemble. À nous dépasser pour parvenir à nous entendre. À nous parler plutôt que nous entretuer.
De la parole de performance à la langue en performance.
Et puisqu'on peut faire dire à la parole tout ce qu'on veut, il importe de définir en quel sens exactement elle est ici employée. La parole - qu'est-ce que j'entends par là ? La parole est le langage en acte- la vie du verbe. Elle relève de notre essence - elle est le propre de l'être humain. Elle nous paraît à tous une évidence - tout le monde parle. Elle se voit sans cesse brandie en étendard -chacun veut dire. Elle se révèle en fait un art - tous les êtres n'habitent pas la parole de la même façon.
Afin de lui donner une base claire, je définis la parole comme la langue en performance spécifique, orale ou signée. Suivant les définitions de Saussure dans son Cours de linguistique générale, par langue j'entends un système de communication conventionnel spécifique, manifestation d'une faculté propre à l'être humain, le langage.
Par langage, j'entends la faculté universelle qua l'être humain de construire des langues pour communiquer. Ainsi, alors que le langage est inné, la langue est acquise. Et alors que la langue résulte d'une convention sociale dont hérite l'individu, convention transmise par la société, la parole constitue par contraste l'utilisation personnelle de la langue - le maniement individuel du langage. La parole marque donc le rapport concret de chaque individu : à la langue - elle est le fruit de ses échanges avec ses interlocuteurs par le biais des langues naturelles.
Par langues naturelles, j'entends les langues visuo-gestuelles, exprimées en langue des signes, et les langues vocales, exprimées par l'oralité.
Par oralité, j'entends le processus de communication où un message est transmis de vive voix par un locuteur à un auditoire.
Par performance, j'entends la réalisation d'un acte en situation concrète, sa mise en œuvre effective.
Y résonne le terme anglais performance, "représentation" ainsi de l'acteur déclarant "I had a good performance last night", "j'ai bien joué hier soir", "j'ai fait une bonne représentation". Dans cette acception de performance, le sens est à distinguer clairement du sens auparavant convoqué pour caractériser l'éloquence - la performance entendue comme efficacité, rendement, résultat, succès. Se jouent donc ici les deux sens de la performance : l'actualisation - la parole, langue en performance ; et l'impact – l'éloquence, parole de performance. Il s'agit d'embrasser la première sans se réduire à la dernière. Pour ne plus résumer la parole à l'éloquence et l'éloquence à la performance - autrement dit, la parole à la performance."
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